Dans cette deuxième série d’articles sur la Loi n°043/PR/2019 du 31 décembre 2019, portant budget général de l’Etat pour l’exercice 2020, est consacrée à l’analyse des trois changements majeurs introduits par l’Etat tchadien dans l’espace fiscale à partir de l’exercice en cours. Il s’agit de l’élargissement de l’assiette fiscale, de la sécurisation de la base taxable et de la suppression de certaines dispositions fiscales. Notons que, les deux premiers éléments ont été au cœur des reproches formulées à l’endroit du fisc aussi bien par les Organisations de la Société Civile que par les partenaires techniques et financiers qui trouvent dans la faible capacité de mobilisation des recettes intérieures, la faible base de l’assiette et l’insécurité fiscales.
1. L’élargissement de l’assiette
L’élargissement de la base taxable par la loi de finances 2020 a concerné quatre catégories de taxes à savoir, i) le droit d’assise et des taxes spécifiques sur les biens de première nécessité ; ii) la Taxe sur la valeur ajoutée ; iii) l’impôt sur les revenus ; et, iv) la taxe environnementale.
i) En effet, les premières mesures d’élargissement d’assiette fiscale ont porté sur le droit d’accises et la taxe spécifique frappant notamment certaines catégories de produits à savoir, les parfums et les produits cosmétiques et les motocycles de 250 cm3. Il en est de même pour l’augmentation du taux de droit d’accises 25 à 30% sur les cigarettes et de 5 à 10% sur les boissons non-alcoolisées ainsi que de l’introduction d’une taxe spécifique de 25 F avec un plafond à 10% du produit vendu sur les emballages non-récupérables et de 25% de la valeur sortie usine sur le polypropylène (article 4 LFI 2020).
ii) En matière de TVA, le législateur a également introduit un taux réduit de 9% sur certains produits locaux. Il s’agit, selon ce dernier, d’élargir l’assiette afin d’améliorer les recettes publiques. Ainsi le ciment, l’huile, le savon et le sucre produits localement ainsi que les sous-produits et les produits de l’industrie locale seront soumis à ce taux réduit (article 18 LFI 2020).
iii) En matière d’impôt sur les revenus (article 6 LFI 2020), il est institué des retenues à la source de 7,5% sur les prestations au Tchad, des entreprises situées en zone CEMAC, pour éviter le risque de double non-imposition au regard du règlement CEMAC n°07/2019 (article 26 XXXX nouveau). C’est également le cas de l’élargissement de l’IS libératoire de 25% aux frais médicaux versés à des institutions sanitaires domiciliées à l’étranger, en rémunération des prestations médicales. Ce taux concerne également les charges d’interconnexion des sociétés de téléphonie mobile versées aux sociétés non résidentes (article 26 XXV nouveau). Il est en outre, institué des retenues à la source de 5% à 10% sur les dividendes versés aux personnes physiques ou morales ayant leur siège dans la CEMAC (article 9 LFI 2020).
iv) En matière de protection de l’environnement, le Législateur a introduit une taxe de 10 francs CFA sur chaque bouteille de boissons alcoolisées produites localement et de 50 FCFA par bouteille pour les boissons alcoolisées importées et vendues au Tchad. De même, le mètre cube de minéraux extraits (mines et carrières) est taxé à hauteur de 250 FCFA, la tonne de déchets Industriels ou dangereux, de 1000 FCFA et celle de déchets hospitaliers ou assimilés de 1500 FCFA (article 16 LFI 2020).
2. La sécurisation de la base taxable
En vue de sécuriser la base taxable des impôts et taxes, le législateur tchadien a retenu pour les personnes physiques, tous revenus du redevable en raison de sa résidence et sa durée de séjour au Tchad (article 5 LFI 2020) et a défini la notion de l’établissement stable en ce qui concerne les sociétés implantées au Tchad pour rattacher l’imposition au Tchad des revenus issus de ces établissements (article 13 LFI 2020).
Il a, en outre procédé à l’exclusion de la déductibilité des charges payées en espèce dont les montants sont supérieurs ou égaux à 500 000 F CFA (art. 26 XXXIX nouveau, LFI 2020 article 6), l’imposition au précompte de 15% aux cordons douaniers, des produits importés par les contribuables non identifiés ou non actifs (article 10 LFI 2020).
La loi a également prévu une retenue à la source de la TVA sur les factures des fournisseurs par les entreprises habilitées, figurant sur la liste de la DGI prévue par l’arrêté 114/PR/MFB/DGM/DGSI/2019 du 20 août 2019. Cette mesure vise à garantir le reversement effectif de la TVA.
On notera que l’arrêté 114 a permis de compléter les dispositions de l’article 3 de la loi 015/2017 portant rectificatif de la loi 033/2016. Ainsi, pour renforcer ces dispositions, le législateur précise au paragraphe V de l’article 245 du CGI, les conditions de déclaration et de versement de ces retenues de TVA, tout en excluant au paragraphe VI, la déductibilité de la TVA facturée par les entreprises non actives (article 19, LFI 2020). Pour ce qui est de crédit de TVA, la loi précise qu’il doit être validé avant tout report lorsque le montant trimestriel est supérieur à 5 millions de F CFA (article 24 LFI 2020).
Par ailleurs, la loi précise que tous les impôts et taxes dus par les entreprises assujetties au régime du réel sont payables uniquement par virement bancaire (article 23 LFI 2020).
Enfin pour le dépôt des DSF, en sus de la liasse, le dépôt du fichier électronique sous Excel est obligatoire pour les contribuables dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 500 millions de francs CFA (article 25 LFI 2020).
3. La suppression de certaines dispositions fiscales
Notons que pour des raisons de clarté, simplicité et cohérence, le législateur a supprimé certaines dispositions du CGI. Il s’agit en particulier des dispositions ci-dessous :
- Le paragraphe II de l’article 37 du CGI qui maintenait certaines activités au régime du réel malgré le niveau inférieur du chiffre d’affaires (article 7 LFI 2020) ;
- Le paragraphe 3° de l’art. 67 du CGI relatif au quotient familial (article 8 LFI 2020) ;
- Le paragraphe A de l’art. 678 du CGI relatif au tarif de bornage des terrains urbains (article 44 LFI 2020).
4. Principaux enseignements
De ces différents points nous tirerons des enseignements suivants.
Premièrement l’élargissement de l’assiette de certains impôts rentre bien dans le cadre de la recherche d’amélioration des ressources traditionnelles pour couvrir les besoins de fonctionnement, d’investissements et d’apurement des dettes publiques.
Cependant il faut relever que l’application de l’élargissement de l’assiette de certains impôts pose problème. C’est le cas de la taxation au droit d’accises de l’eau minérale, non prévue par l’article 4 de la LFI 2020, qui s’est limité à deux nomenclatures du tarif de douane n° 22.02 « eaux gazeuses et boissons sucrées » mais que l’arrêté n° 013/MFB/DGM/DGSDDI/2020 du 29/01/2020 étend à l’ensemble de la nomenclature donc, l’eau minérale. Alors, la question qui se pose est celle-ci : n’y a-t-il pas contradiction entre les dispositions du législateur et l’application de ces dispositions ?
Deuxièmement, les mesures portant sur le ciment sont-elles cohérentes avec la politique de logements décents pour tous, prônée par le Gouvernement, pour ce matériau essentiel de construction qui figure parmi les plus chers de la sous-région et même de toute l’Afrique ? Inutile de commenter les taxes sur les produits de première nécessité comme le savon, l’huile et la politique gouvernementale en matière de réduction de la pauvreté et de la lutte contre la vie chère. On s’interrogera également sur la faisabilité de la taxe sur les déchets dans la mesure où le Tchad ne dispose, à ce jour, d’aucun dispositif de contrôle de la production de ces déchets industriels et hospitaliers, d’ailleurs déversés à ciel ouvert dans la nature.
Pour le cas particulier de la TVA sur certains produits locaux, non exonérés par l’article 230 du CGI, et qui bénéficient d’une taxation au taux réduit de 9% (article 17 LFI 2020), le Législateur faciliterait l’application de cette taxe si les matières premières et produits semi-finis importés rentrant dans la fabrication des produits locaux sont taxés au même taux de 9%. La taxation des intrants importés à 18%, entrainerait un risque important de crédit de TVA pour le contribuable.
Troisièmement, on notera que, sur le principe et le fondement théorique et politique, la taxe de protection de l’environnement, la taxe spécifique et le droit d’accises sont des taxes similaires qui s’appliquent aux mêmes matières imposables pour contraindre l’assujetti à réduire son usage pour de raison de santé ou à appliquer des règles permettant de respecter l’intérêt général. Dans ce contexte, comment comprendre la soumission de l’eau minérale au droit d’assises au même titre les boissons gazeuses et sucrées ? S’agit-il de décourager la consommation de cette boisson quand on sait que la plupart des maladies sévissant au Tchad sont d’origine hydrique ?
Par ailleurs, l’application simultanée de ces taxes à la même matière imposable s’apparente à la double voire, triple imposition et peut entrainer l’effet non souhaité soutenu par l’économiste Américain, Arthur Laffer : « trop d’impôt, tue l’impôt ». Par exemple pour produire un litre d’eau minérale, l’industriel tchadien doit facturer au client le droit d’accises sur le produit, la taxe spécifique sur l’emballage et la taxe de protection de l’environnement sur une quote-part du kilo du même emballage non biodégradable, sans compter les bouchons et la taxe sur les déchets industriels. Ce qui amène à se demander, où est la politique de lutte contre la vie chère dans tout cela.
Enfin le rattachement des revenus de source étrangère au foyer fiscal tchadien en raison de la résidence au Tchad n’exposerait-il pas le contribuable concerné à la double imposition ? Si le Tchad taxe désormais tout revenu de source tchadienne et étrangère, rien n’exclue que d’autres Etats le fassent de même.
Rendez-vous au prochain Numéro (N°003-CFP-2020) sur « les sanctions et dispositions diverses ».
Borohoul Yossatam
Conseil Fiscal agréé
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